Médecine en MésopotamieLa médecine mésopotamienne est l'une des plus anciennes formes de médecine attestée. Elle est documentée par de nombreuses tablettes cunéiformes rapportant des diagnostics médicaux, des remèdes pharmacologiques, et aussi des rituels de guérison, qui concernent une vaste gamme de problèmes de santé. Comme souvent dans l'étude de la médecine ancienne, les pratiques relevant de ce qu'on qualifie de médecine se combinent avec celles que l'on considère comme relevant de la magie. Cette cohabitation a suscité des débats interprétatifs. On a notamment cherché à dégager les éléments proprement scientifiques de cette médecine, et écarté tout ce qui s’apparente à de la superstition, à de la magie (voir le débat sur le statut respectif de l’asû et de l’āšipu). On l’a également considérée comme une science ayant fini par se pervertir et devenir une superstition, ou à l’inverse une pratique magique devenue progressivement plus scientifique. Pour autant, la division entre ce qui est du point de vue actuel « rationnel » et « irrationnel » n’a pas de raison d’être pour les anciens Mésopotamiens, et les textes médicaux mélangent allègrement les deux choses. Il ne s’agit pas de procéder à des distinctions artificielles, ni de chercher à condamner ou excuser les Mésopotamiens pour la médecine qu’ils ont (ou n’ont pas) pratiquée. La médecine mésopotamienne est à resituer dans son propre contexte, celui d’une pratique complexe, ayant recours à différents spécialistes sans doute plus complémentaires que concurrents, et ayant sa propre rationalité, même s’il ne faut pas y chercher une pratique « scientifique » au sens moderne du terme, en éliminant ce qui ne relève pas du champ de la médecine moderne. ![]() Sources![]() Des sources sur la médecine mésopotamienne remontent jusqu’à la période de la Troisième Dynastie d'Ur, à la fin du IIIe millénaire. Un plus grand corpus date de la première moitié du IIe millénaire (période paléo-babylonienne), mais la plus importante part de textes médicaux, et de très loin, provient des grandes cités de la période néo-assyrienne (911-609), où sont conservés les savoirs accumulés au cours des périodes précédentes. La seconde moitié du IIe millénaire est très peu documentée[1]. La plus massive des sources sur la médecine mésopotamienne est le Traité de diagnostics et pronostics, qui est comme son nom (moderne) l’indique une liste de diagnostics et pronostics de maladies, avant tout destiné au spécialiste appelé āšipu (voir plus bas). Ce texte se présente comme ceux destinés à la divination. Sa version complète devait comporter quarante tablettes, et près de trois mille entrées. Il s’agit de la compilation de textes plus anciens, remontant au moins au début du IIe millénaire pour les plus anciens, effectuée au XIe siècle par Esagil-kîn-apli, un lettré de Borsippa. Des tablettes de diagnostics et pronostics ont été retrouvées en divers endroits. Le traité débute par la série Enûma ana bīt marsi āšipu illaku (« quand l’āšipu va à la maison du malade »), qui présente ce qui peut se passer quand l’āšipu se rend chez son patient, et dans quoi il peut deviner le sort de ce dernier avant même de l’avoir ausculté[2]. Par exemple, s’il croise un cochon noir, alors le patient mourra ; mais si c’est un cochon blanc, il guérira. La suite concerne les maux touchant le patient, progressant par organe, de la tête jusqu’aux pieds. Puis une autre partie s’intéresse au nombre de jours de maladie du patient. La suite concerne la neurologie. Deux autres tablettes concernent les maladies intestines et les lésions de la peau, et la dernière partie traite des problèmes gynécologiques et infantiles. Les descriptions des maladies ne nous permettent pas tout le temps de bien les identifier[3]. Les textes thérapeutiques, destinés concrètement à la guérison du patient, comportent des prescriptions[4]. Il s’agit là encore de listes de remèdes, commençant généralement par donner le nom de la maladie, puis les ingrédients du traitement et sa recette, avant de dire comment l’administrer. On utilise des éléments végétaux, minéraux, ou animaux, pas toujours bien compris par les traducteurs contemporains. Les quantités nécessaires pour élaborer le « médicament » ne sont pas souvent précisées ; il arrive que l’on dise combien de jour le traitement doit durer ou combien de fois par jour il doit être administré. Pour aider les spécialistes dans l’élaboration des remèdes pharmaceutiques, il existait une liste, URU.AN.NA, un glossaire de plantes[5], ou encore un « manuel », la série Šammu Šikinšu[6],[7]. Les prescriptions thérapeutiques mélangent remèdes « rationnels » et « irrationnels », puisqu’on y trouve des incantations et rituels à côté de procédés d’élaboration de remèdes pharmaceutiques. Certains textes médicaux sont des formes abrégées de textes thérapeutiques, beaucoup plus concis que les habituels, servant sans doute de sorte d’index.
Certains textes de la vie courante nous informent également sur les activités des spécialistes de la médecine mésopotamienne. Les deux plus importants corpus proviennent des palais royaux de Mari[8], au XVIIIe siècle, et de Ninive, aux VIIIe – VIIe siècles[9]. Un groupe de lettres des archives des gouverneurs de Nippur d'époque kassite documente quant à lui le suivi de plusieurs patientes par des médecins, notamment un dénommé Shumu-libshi (qui semblerait être lié au temple de Gula)[10].
On peut y ajouter deux textes humoristiques dans lesquels on trouve des personnages de médecins, dont Le pauvre homme de Nippur. Les sources ostéologiques sont quant à elles quasiment absentes du répertoire de documents utilisables pour mieux comprendre la médecine mésopotamienne, peu de squelettes d’anciens Mésopotamiens ayant fait l’objet d’études paléopathologiques[12]. Croyances, théories et pratiques curativesLa médecine de la Mésopotamie ancienne, reflet d'une société dans laquelle le sacré est encastré dans le social, reposait sur des conceptions mêlant des croyances religieuses pour lesquelles l'origine du mal était surnaturelle et des approches plus pragmatiques reposant sur l'observation et l'expérience. Elle faisait appel à des spécialistes de la guérison dont la fonction avait un aspect religieux plus ou moins prononcé. Il en résulte des pratiques médicales mêlant usage de remèdes pharmaceutiques (potions, lotions, etc.), et magiques (incantations, objets protecteurs, divination, rituels d'exorcisme), donc un ensemble de pratiques relevant d'un « art de la guérison ». Reflétant cette cohabitation entre magie, exorcisme et médecine (et aussi la divination, toujours associée de près aux arts de la guérison), dans une lettre mise au jour à Ninive, le grand médecin de la cour assyrienne, Urad-Nanaya, prescrit au souverain Assarhaddon (681-669 av. J.-C.) un remède médical et lui envoie en complément un objet protecteur pour renforcer son efficacité après avoir suggéré de pratiquer un auspice pour mieux comprendre l'origine du mal :
L’origine des maladiesOn présente généralement les Mésopotamiens comme percevant les maladies comme des punitions envoyées par les dieux, du fait d’un « pêché » commis par la victime. Celui-ci aurait fait une faute, morale aussi bien que rituelle (irrespect de l’ordre social, manque de dévotion aux dieux, transgression d’un tabou), et ceux-ci le rendent malade en punition. On est donc puni pour s’être mal comporté. Les maladies sont d’ailleurs souvent nommées « main de (tel dieu) » ; par exemple, l’épilepsie est la « main de Sîn ». Pour autant, il ne faut pas forcément chercher derrière cette dénomination une attribution d’une origine non naturelle ; et ces noms n’empêchent pas non plus de bien connaître la maladie et de savoir la traiter. Parmi les causes des maladies, les « démons » et fantômes, ou encore la sorcellerie sont aussi d’origine « surnaturelle » (selon nos propres critères, cette notion étant étrangère aux Mésopotamiens). Pour s’en prévenir, on pouvait se munir d’amulettes. On trouve également des cas où il est fait explicitement référence à une cause naturelle de la maladie (morsure de bête, contact avec un malade dans le cas d’une épidémie), même si ses modalités ne sont pas comprises ni forcément intellectualisées. En réalité, la façon dont les anciens Mésopotamiens concevaient l’origine de la maladie reste mal connue. Il est clair que le médecin se repose sur les symptômes de la maladie pour la guérir, parce qu’il ignore son fonctionnement[14]. Les spécialistes de la guérisonLe principal spécialiste de la guérison au début du IIe millénaire av. J.-C. est l’asû(m), terme généralement traduit par « médecin » (ou un « physicien » au sens vieilli). Il se charge des traitements à base d’herbes médicales et de pharmacopée qu’il compose lui-même, soigne les os cassés, les blessures, et peut également exercer quelques opérations chirurgicales[15]. Dans les archives royales de Mari (v. 1810-1760), plusieurs lettres documentent les activités d’asû(m), qui jouent le rôle de médecin, de chirurgien mais aussi de vétérinaire pour les animaux. Ils sont spécialisés dans la fabrication de remèdes médicaux divers (bandages, emplâtres, pommades, potions) et la connaissance des plantes médicinales, la pratique des opérations chirurgicales, certains sont peut-être aussi des sortes de magnétiseurs. Les rois en emploient à leur service et cherchent à attirer les plus compétents[16]. Les devins spécialistes de l'hépatoscopie (bârûm) jouent également un rôle important pour déterminer l'origine de la maladie (i.e. quel dieu l'a provoquée) et les perspectives de guérison des malades[17]. Une lettre montre comment, lors d'une épidémie, les deux spécialistes doivent travailler de concert : le premier fait une consultation oraculaire pour déterminer la maladie, alors que le second doit « faire les pansements », donc guérir.
Vers la même époque, le Code de Hammurabi montre que l’asû peut être tenu responsable de la mort d’un de ses patients ou de la perte de l’œil de celui-ci au cours de ces opérations ; le code légifère aussi sur ses honoraires (il s’agit probablement plus d’une indication du « juste prix » que d’un salaire forcé)[19]. Les outils utilisés au cours de ces opérations sont mal connus : on a réussi à identifier des spatules, une sorte de lancette servant à inciser, ainsi que des tubes métalliques. Par ailleurs, le « barbier », gallābu(m), mentionné notamment dans le Code de Hammurabi, pourrait avoir eu une fonction médicale puisque son rôle a pu être comparé à celui d'un « barbier-chirurgien » médiéval ; il se consacrerait plutôt à des opérations destinées aux catégories les moins honorables de la population, notamment les esclaves[20]. Un autre groupe de textes d'époque paléo-babylonienne, provenant de la ville de Lagaba en Babylonie du Nord, documente les actes d'un certain Shamash-muballit qui exerce une activité en lien avec la divination, la protection magique et la guérison : il est dépêché pour interpréter une naissance anormale d'un veau, réciter des prières pour protéger un troupeau, sans doute aussi identifier la maladie touchant une personne, et accomplir des rituels de guérison. Cela semblerait indiquer que si dans la sphère du palais et des grands temples on trouve des spécialistes des oracles, des exorcismes et de la médecine se consacrant avant tout à une seule activité, dans le reste de la société une même personne pouvait exercer à la fois la divination et la magie protectrice et curative[21]. Les archives royales de diverses périodes montrent que les médecins les plus reconnus étaient recherchés par les souverains, qui s'entouraient de ceux connaissant les meilleurs remèdes. Aux XIVe – XIIIe siècles, on a même des cas d’envois de médecins réputés à des rois amis : Babylone en envoie à plusieurs reprises chez les Hittites, et le roi du Mitanni Tushratta en Égypte chez Amenhotep III. Les médecins faisaient donc partie intégrante des pratiques diplomatiques de l’époque. Un récit satirique, Le pauvre homme de Nippur, montre son héros se faisant passer pour un asû, et nous informe sur l’apparence physique des gens de ce métier, puisqu’il se rase les cheveux avant de rentrer dans le personnage, et procède à d’autres modifications de son apparence hélas inintelligibles ; il se prétend également originaire d’Isin, ville de la déesse guérisseuse Gula (voir plus bas), ce qui montre l’importance de cette cité dans l'exercice de la médecine en Mésopotamie. L’āšipu (ou mašmaššu) devient au Ier millénaire av. J.-C. le spécialiste de la guérison le plus réputé. C'est un membre du clergé, parmi les spécialistes les plus érudits du milieu savant mésopotamien[22]. Ceux qui nous sont connus se succèdent généralement de père en fils, formant des sortes de « dynasties »[23]. Leur carrière semble commencer par des études de scribe, avant de se spécialiser dans leur fonction. Un texte du Ier millénaire av. J.-C. surnommé Manuel de l'Exorciste fait la liste des textes qu'un de ces spécialistes devait maîtriser pour accomplir son art, qui dépasse largement le domaine curatif, puisqu'il implique de protéger contre différents types de maux comme des catastrophes naturelles (inondations, invasions de criquets), la protection magique de villes et résidences, etc. On retrouve dans son champ d'expertise des textes de diagnostics médicaux, aussi la connaissance des produits servant pour les remèdes médicaux, au moins pour la réalisation d'amulettes[24]. De fait, dans le domaine thérapeutique, il est au moins assuré que l’āšipu doit avant tout faire des diagnostics, donc déterminer le mal qui touche le patient, ce qui rapproche son rôle de celui d'un devin, puisqu'il doit interpréter des signes (les symptômes) auxquels on attribuait généralement une origine divine. Les textes de diagnostics étaient d'ailleurs souvent classés par les anciens Mésopotamiens parmi les textes de présages. Parfois la tâche de déterminer l'origine de la maladie incombe d'ailleurs à un devin spécialiste en hépatoscopie (bārû), et plus rarement à un personnage féminin mal connu spécialisé dans l'interprétation des rêves (šā’iltu). L'exorciste effectue également des rituels, au cours desquels il prononce des incantations, souvent dans un langage obscur, seulement intelligible par les démons (une sorte d’abracadabra). Mais les textes de diagnostics comportent quand même de nombreux traitements « rationnels » : l’ašipu a donc un rôle dans l’établissement du diagnostic et du pronostic et il peut également guérir[25]. Les rapports entre les champs de compétence de l’asû et l’āšipu sont débattus. La vision traditionnelle, notamment depuis les travaux de F. Köcher puis E. K. Ritter, fait de l’asû un spécialiste qui serait celui qui pratiquerait ce qui s’approche le plus de la médecine moderne, donc aurait une approche pragmatique, rationnelle pour guérir ses patients. L’āšipu, à l’inverse, est un « expert magique », qui se charge de l’approche « surnaturelle » de la maladie, et qui est donc une sorte de sorcier, chargé de composer avec les dieux et démons qui causent la maladie[26]. Cette interprétation a connu un certain succès et été accepté dans les grandes lignes, mais elle a été plus ou moins nuancée, car elle propose sans doute une séparation trop rigide entre les deux catégories de spécialistes, qui est plus théorique que réaliste, et que son opposition entre ce qui relève du rationnel et de l'irrationnel est anachronique[27],[28]. P.-A. Beaulieu explique ainsi la séparation entre l'art de l’āšipu (āšipūtu) et celui de l’asû (asûtu) : « la montée en puissance de l’āšipūtu aux périodes tardives favorisa une division de la médecine en deux branches. L’asûtu se cantonna aux aspects les plus pratiques de la médecine, la pratique du médecin reposant essentiellement sur des connaissances empiriques. L’āšipūtu, d'un autre côté, prenait en considération à la fois les composantes spirituelles et physiques de la maladie, l'exorciste étant autant un médecin de l'âme que du corps, et incluait une part importante de connaissances spéculatives, principalement divination et magie. Il est pourtant évident que les deux disciplines se chevauchent fréquemment, d'autant que l'exorciste intègre souvent l’asûtu dans sa propre pratique. En d'autres termes, l’āšipūtu représentait une forme de médecine principalement orientée vers un objectif théologique, tandis que l’asûtu était une recherche empirique, potentiellement indépendante des considérations religieuses[29]. » J. A. Scurlock a proposé de revoir les rôles entre asû et āšipu, en proposant une nouvelle interprétation des textes médicaux[30]. Elle divise ceux-ci en deux catégories : une constituée de textes de diagnostics, décrivant les symptômes puis le traitement ; et une autre dont les indications commencent par la description des plantes médicinales, avec ensuite les cas durant lesquels on doit les utiliser. Cette dernière serait destinée à l’asû, qui serait une sorte de pharmacien, chargé de connaître, récolter et conserver les plantes médicinales, ce qui ne l’empêcherait pas d’avoir des bases en chirurgie. Les textes à son intention sont des sortes de « prescriptions » : le malade sait déjà, d’une manière ou d’une autre, quelle maladie il a, et appelle l’asû pour le guérir. L’āšipu serait bien le spécialiste du diagnostic (les textes ne laissent aucune ambiguïté là-dessus), celui qui produit les textes médicaux. Il détermine la cause de la maladie, à charge au malade d’aller voir le « pharmacien » pour recevoir son traitement. Il n'empêche que dans les sources on rencontre bien des asû s'intéressant aux symptômes et des āšipu préparant des remèdes médicaux. Là encore la documentation incite à ne pas envisager une séparation trop rigide entre les deux spécialités[28]. Les divinités liées aux arts de la guérison![]() Certains dieux avaient un rôle particulier sur la santé. Leurs faveurs étaient obtenues par des prières, des pénitences, ou des présents. On les invoquait couramment dans les incantations accompagnant le traitement médical, coup de pouce non négligeable pour faire en sorte que le patient guérisse. Parmi eux, Gula (ou Ninisinna), était la déesse guérisseuse la plus importante, portant des épithètes tels que « grande guérisseuse » (asugallatu) ou « doctoresse de l'humanité » (asātu awīlūtu). Elle est donc la patronne de l'art de l’asû(m). Sa cité, Isin, était un centre de formation de médecins réputé, et ses temples ont pu servir d'herboristeries voire de lieux de culte. En tout cas on y vouait de nombreux présents à la déesse pour avoir ses faveurs ou la remercier d'une guérison, notamment des ex-voto en forme de chien, son animal-symbole[31]. Il y avait aussi Ninib, le fils d'Enlil, et Ningishzida, deux autres dieux guérisseurs, ainsi qu'Ea, le dieu des eaux douces, qui avaient un rôle purificateur et éloignaient les démons responsables de la maladie, ce qui faisait que l'on avait pris l'habitude de soigner les malades près des rivières. Ea avait transmis le savoir exorcistique aux humains par l’intermédiaire de son fils Asalluhi, divinité tutélaire des exorcistes qui fut plus tard identifiée Marduk, autre fils d'Ea. Ce sont donc les divinités de l'art de l’āšipu(m). On trouvait aussi Nabû, fils de Marduk, dieu des savoirs. Shamash, dieu du soleil et de la justice, et très présent dans la divination, était lui aussi important et invoqué dans incantations des traitements. Les lieux d'exercice de la médecineQuant aux lieux d'exercice de la médecine, les sources explicites sur ce point indiquent que les patients sont en général traités à leur propre domicile, les spécialistes des savoirs de la guérison étant essentiellement itinérants, comme l'indique l'incipit de la série divinatoire « quand l’āšipu va à la maison du malade ». Les cas inverses, où un malade se rend chez un soigneur, semblent plus rares. Il n'y a pas d'« hôpital » attesté avec certitude (même si un tel lieu a pu être proposé comme origine des lettres médicales de Nippur, ce qui semble peu vraisemblable). Mais un texte d'époque néo-babylonienne mentionne l'existence d'une « maison des asû » (bīt asê) qui semble être un lieu où sont placées des personnes malades[32]. Le rôle des temples de la déesse guérisseuse Gula n'est pas clair. S'il est évident qu'on s'y rendait pour y obtenir les faveurs de la divinité en cas de maladies par des prières ou des offrandes, leur rôle pourrait être plus étendu : il pourrait s'agir de lieux d'enseignement de la médecine, ou du moins d'endroits où l'on trouverait des ouvrages médicaux, voire d'herboristeries, et peut-être de lieux de cure[33]. Les remèdes médicaux![]() Les médicaments mis au point pour les traitements sont avant tout faits à base de plantes[34]. Les médecins mésopotamiens disposent de jardins médicinaux où sont plantées ces plantes. Elles ne sont pas tout le temps identifiables, mais bien souvent on est parvenu à les identifier, leur utilisation pour un traitement précis se retrouvant dans les médecines « traditionnelles » encore pratiquées récemment en Irak. Les prescriptions mentionnent généralement des parties des plantes (feuilles, racines, graines), que l’on prépare suivant divers procédés (le séchage semble courant, la cuisson, puis le broyage, le tamisage) afin d'obtenir des poudres, et qui peuvent être ensuite mélangées dans une autre substance pour l’administrer, notamment liquides ou semi-liquides. On employait également des éléments minéraux (sel et salpêtre) et animaux (lait, écailles de tortue), ou d'autres préparations (bière, vin, moutarde, huile). Le chauffage peut intervenir dans le processus afin que les propriétés curatives se réveillent, si besoin en procédant ensuite à une décoction ; on peut éventuellement laisser la mixture macérer longuement, ou l'employer alors qu'elle est encore chaude. Les voies d’administration sont elles aussi variées : les poudres peuvent être administrées directement par des tubes en roseau ou en bronze (si besoin par soufflage), aussi des lotions et potions, inhalations, fumigations, instillations, pommades, liniments, cataplasmes, lavements, et parfois par des suppositoires pour les problèmes gastriques[35],[36]. Par exemple, un texte d'Uruk d'époque séleucide indique une préparation visant à soigner un gonflement de la langue avec l'application sur celle-ci d'un onguent réalisé à partir de plusieurs feuilles de plantes, la plupart non identifiées :
La place de la magie![]() J. Bottéro a proposé une définition de la magie, comme « un système de faits sociaux fondé sur la croyance en l’efficacité immédiate d'un certain nombre de comportements, de procédés et d'éléments, qu'on utilisait en vue de créer des effets essentiellement bénéfiques, mais dont les relations a leurs causes étaient, de notre point de vue, parfaitement irrationnelles », en sachant que les pratiques magiques sont proches d'autres et se confondent souvent avec elles : l'exorcisme, la sorcellerie, la théurgie[38]. La magie occupe la place finale des traitements médicaux, après la préparation du médicament, et pendant ou après son administration, en complément de celle-ci, pour renforcer son efficacité. En ce sens l'intervention de la magie peut être vue comme un complément des procédures médicales. Concrètement, la procédure magique consiste souvent en des incantations, sous la forme de prières invoquant des divinités destinées à chasser le mal (souvent Shamash, Ea, Asalluhi, Marduk, Gula)[39]. L’appui divin est nécessaire à la guérison du patient, ce qui est logique vu que les dieux sont également une cause des maladies. Aujourd'hui, que je sois malade de [...], de maladie-pardannu, d'anémie (?), de gonorrhées, — Prière à Gula prononcée en ingérant un remède médical[40]. Selon M. Geller les incantations ont plus un rôle étiologique que magique, puisqu'elles expliquent la nature ou l'origine supposée de la maladie[41]. Vent ! disent-ils, — Incantation prononcée lors d'un rituel pour la guérison de flatulences (= le « vent », šāru)[42]. L’intervention de la magie et des incantations dans le traitement de la maladie ne doit pas forcément être tenue comme négligeable dans le processus de guérison du patient : comme tout rituel, elle est susceptible d'avoir une efficacité symbolique, psychologique, un effet placebo participant à la guérison selon certains spécialistes[43]. Parfois la magie implique également l’exécution d’un rituel, soit des offrandes aux divinités invoquées, ou des procédures plus complexes faisant souvent intervenir des objets ou figurines symbolisant le mal, des plantes et autres ingrédients, mais allant rarement jusqu’au sacrifice sanglant d’un animal. Celle-ci est d’ailleurs couramment le seul apport magique à un traitement, les rituels complexes et élaborés étant minoritaires dans les textes thérapeutiques. Les objets magiques et amulettes sont par ailleurs essentiels dans la médecine mésopotamienne pour tenir à l'écart ou guérir les maladies (et toute autre sorte de mal), et ils ont été retrouvés sur de nombreux sites archéologiques. Par exemple, un texte mis au jour à Nimroud en Assyrie présente un rituel voyant l'élaboration d'une figurine protectrice du génie protecteur Pazuzu à partir de poussière prélevée dans plusieurs lieux sacrés ou ayant un lien symbolique avec la maladie :
Des tablettes de Ninive donnent des instructions pour la réalisation de chaînes d'amulettes, dispositifs permettant de disposer sur un ou plusieurs fils des pierres aux propriétés différentes, leur association étant censée avoir un but thérapeutique spécifique, par exemple la guérison de maux de crâne[45]. Exemples de traitementsOphtalmologieDe nombreux textes médicaux concernent les maladies liées à la vue. Certaines causes « rationnelles » des maux étaient identifiés, telles que le sable ou le pollen par exemple. On connaissait ainsi les simples conjonctivites, mais aussi des problèmes de vision, comme la cécité passagère, la vue trouble, les éblouissements. Mais les chirurgiens ne savaient probablement pas procéder à des opérations ophtalmologiques comme la cataracte, malgré ce que certains ont cru voir dans un article du Code de Hammurabi[46]. Problèmes des oreillesPour ce qui est des oreilles, on cherchait à guérir les divers maux qui affectaient cet organe, les problèmes de bourdonnement, et de perte de l’ouïe, ou les infections comme les otites[47]. Des remèdes courants pour ces traitements sont le versement de gouttes de liquides dans les oreilles (souvent du jus de grenade), par le biais de pailles en roseau ou bien en imbibant des morceaux de laine obstruant ensuite l'oreille ou bien des fumigations. On retrouve ces solutions dans ce traitement prescrit par un médecin assyrien au roi Assarhaddon pour un mal d'oreille non explicité :
Les dentsLes problèmes bucco-dentaires, surtout les maux de dents, sont documentés par plusieurs textes, mais la pratique odontologique n’est pas identifiée en tant que telle, et on ne sait rien sur l’éventuelle existence de spécialistes dans ce domaine. Une prescription dite du « ver dentaire », débutant par un récit cosmogonique et contient une incantation au dieu Ea et un passage contenant des instructions pour une opération sur une dent malade, soignée avec un mélange de bière, malt et huile. On y voit qu'on attribue certains maux de dents comme les caries à des vers, comme dans d'autres civilisations antiques et jusqu'à l'époque moderne en Occident[49],[50]. Lorsque Anu eut créé le Ciel, — Poème du Ver dentaire[51]. Problèmes cutanésDe nombreux textes relatent les problèmes liés à la peau : les lésions par exemple. La Mésopotamie étant un pays où le soleil frappe fort, et où le climat peut être très sec, ce genre de maladies devait être courant[52]. Des lettres de Mari évoquent des maladies de peau (la maladie appelée simmum plusieurs fois évoquée), qui étaient guéries à l'aide d'emplâtres faits à base de plantes médicinales, dont les plus efficaces étaient recherchées comme l'atteste cette lettre entre le roi local Yasmah-Addu et son frère Ishme-Dagan :
Problèmes gastriques, rénaux et urinairesLes maladies gastriques étaient répandues en Mésopotamie, et font l’objet de beaucoup de passages dans les textes de traitements : flatulences, constipation, fuites de sang, etc. Le rôle de la vésicule biliaire dans le déclenchement de la jaunisse (amurriqānu) semble avoir été compris. D’autres textes mentionnent des problèmes rénaux (calculs), et urinaires ; le médicament pouvait alors être administré jusque dans l’urètre par le biais d’un tube en bronze[49], comme dans ce cas concernant une affection de la vessie ou de l'urètre :
Toux et problèmes respiratoiresLes symptômes de toux graves et de problèmes de respiration ressortent également dans des textes médicaux, en liens avec d'autres symptômes comme des problèmes cutanés ou gastriques. Comme souvent la maladie en question ne peut être déterminée car les textes s'intéressent surtout à ses manifestations, qui peuvent combiner plusieurs types de symptômes. C'est le cas de la maladie touchant plusieurs des patientes faisant l'objet des lettres médicales de Nippur d'époque kassite, qui sont atteintes de toux graves et dans un cas de troubles respiratoires, apparemment en même temps que des problèmes cutanés[55]. Elles sont traitées par des potions et des cataplasmes, comme dans le cas suivant :
Enfantement et gynécologie![]() L’accouchement semble assisté par une sage-femme (šabsūtu(m)), et par aucun spécialiste médical[57]. Comme souvent dans les sociétés anciennes, cet événement est un moment critique, en raison des risques encourus par les parturientes et les nouveau-nés, donnant lieu à la rédaction de nombreuses prières protectrices, comme celle-ci destinée au dieu Shamash : Shamash, juge éminent, père des « têtes noires » (les humains), La démone Lamashtu et d'autres démon(e)s étaient vu(e)s comme les incarnations de ces menaces contre les femmes mettant au monde et leurs nouveau-nés, et pour se protéger contre ces créatures des amulettes et incantations étaient élaborées, accompagnant diverses préparations pharmacologiques, gestes de massage et lubrifiants destinés à faciliter le travail et l'accouchement[59]. Les problèmes gynécologiques et infantiles sont une autre catégorie très bien documentée. Les complications pouvant arriver à la suite de la mise au monde d’un enfant étaient traitées par un médecin : ainsi en cas d’atonie utérine, on traite la malade en la faisant s’asseoir au-dessus d’un bol dans lequel on fait brûler une décoction servant à produire de la fumée curative[60]. Les maladies infantiles sont bien attestées par les textes de diagnostics, mais on ne dispose d’aucune information sur eux dans les textes thérapeutiques[57]. MassagesUn texte rituel d'époque néo-assyrienne appelé Muššuʾu, « frottement », « onction », « massage », contient un ensemble d'incantations en sumérien et akkadien à réciter en accomplissant le rituel du même nom. Celui-ci est identifié comme une forme de massage avec un baume de différentes parties du corps ayant manifestement pour but d'expulser le mal du corps, en agissant d'abord sur la tempe, puis la nuque, les bras, l'abdomen, et enfin les jambes. Ces rites visent à guérir aussi bien des fièvres et maux de têtes que des douleurs musculaires, des engourdissements et paralysies, des varices. Dans une combinaison de magie et de médecine, des incantations purificatrices (reprises d'autres séries exorcistiques) ouvrent le rituel, puis on procède au massage en récitant des incantations, des amulettes étant aussi préparées et utilisées, ainsi que de l'eau, de l'encens, de la laine nouée autour des membres à guérir. Enfin des rites purificateurs concluent l'opération[61]. ChirurgieLes connaissances chirurgicales de Mésopotamiens sont mal documentées, et ont fait l’objet de débats, notamment à partir de quelques articles du Code de Hammurabi relatifs à l’asû, à vrai dire assez obscurs quant aux opérations pratiquées :
— Code de Hammurabi, articles relatifs aux asû[62]. Les textes thérapeutiques sont peu prolixes en informations sur la chirurgie. Pour autant que l’on sache, les spécialistes de l’époque savaient guérir les fractures, les luxations, mais aussi pratiquer certaines interventions chirurgicales, sur la plèvre, pour drainer du pus par exemple, mais aussi pour extraire des abcès ; la trépanation n’est pas attestée. La césarienne était peut-être pratiquée. À la fin des opérations, le patient était apparemment suivi, et on savait faire face aux risques d'infections grâce à l'utilisation d'huiles qui faisaient office d'agents anti-bactériens. L’hygiène devait cependant rester rudimentaire, et on ne sait rien du taux de réussite de ces opérations. Les connaissances physiologiques des Mésopotamiens étaient assez limitée, ce qui réduit l’étendue de leurs pratiques chirurgicales[63]. Maladies contagieuses et épidémies![]() Plusieurs lettres de Mari font référence à une maladie de peau contagieuse, le simmum, déjà évoquée plus haut, et montrent que l'isolement des malades était pratiqué, comme dans celle-ci du roi Zimri-Lim à son épouse Shibtu :
Ce type de mesure était par ailleurs appliqué aux épidémies. Ces maladies étaient appelées ukultu (« manducations »). Les dieux étaient supposés en être les instigateurs, notamment Nergal, le dieu des Enfers. C'était donc une malédiction qu'il ne fallait pas répandre dans la population[66]. Des incantations et amulettes visaient à éloigner ce genre de maladie, auxquelles les Mésopotamiens étaient très vulnérables. Troubles mentauxLes troubles mentaux sont également documentés par quelques textes. Ils sont traités par des moyens magiques, étant donné qu'on attribue leur origine à la colère d'un dieu contre le malade. Par exemple, pour ce qui a été compris comme une situation d’anxiété chronique, on élabore deux figurines (une masculine et une féminine) censées porter les maux accablant le malade, et on procède à un rituel culminant dans une incantation au dieu Shamash (dieu soleil)[67]. La description des symptômes de cet état d'anxiété et de dépression s'attarde en particulier sur l'état de trouble dans lequel est plongé le malade, en plus d'autres malheurs devant révéler l'ire divine qui serait à l'origine de son état :
Absence de traitementsDu reste, la conclusion du Traité de diagnostics, est souvent de dire si le patient ira bien ou bien si, au contraire, il n'y a rien à faire et son sort est de mourir. On n’avait donc pas forcément recours à une méthode « magique » quand il apparaissait qu'aucune méthode « rationnelle » ne fonctionnait. Les asû aussi bien que les āšipu savaient reconnaître leurs limites[69].
Références
BibliographieSources
Introductions
Revue spécialisée
Études spécialisées
Liens externes
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